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Le 23 mai, la France célèbre une journée nationale pour les victimes de l’esclavage colonial. Des descendants de personnes réduites en esclavage par l’empire français se sont battus pour établir l’événement il y a 25 ans, et aujourd’hui, ils se battent toujours pour un mémorial national en l’honneur de leurs ancêtres.

Cela fait 175 ans que la France a définitivement aboli l’esclavage. Mais pour les descendants de millions de milliers d’hommes et de femmes réduits en esclavage dans les anciennes colonies françaises, l’histoire est tout sauf lointaine.

« Mon grand-père était le fils de deux esclaves. Je ne suis que la troisième génération de ma famille qui n’est pas asservie », explique Emmanuel Gordien, dont les ancêtres ont été emmenés d’Afrique pour travailler dans ce qui était alors la colonie française de la Guadeloupe.

“C’est une histoire très récente, compliquée et douloureuse pour ceux d’entre nous qui descendent d’esclaves.”

Gordien est président du comité de mars 98, CM98qui a été fondée à la suite d’une manifestation historique appelant l’État français à reconnaître son histoire d’esclavage.

Cette marche, qui a amené jusqu’à 40 000 personnes dans les rues de Paris le 23 mai 1998, a contribué à pousser le gouvernement français à reconnaître la traite négrière comme un crime contre l’humanité, ce qu’il a fait en 2001.

Et en 2017, la France a déclaré le 23 mai Journée nationale du souvenir des victimes de l’esclavage colonial : plus d’un million de personnes victimes de la traite d’Afrique vers les colonies françaises, et des générations de personnes nées de celles-ci, avant que ce commerce ne soit définitivement aboli en 1848. .

Aujourd’hui, quatre de ces anciennes colonies – la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane française et la Réunion – sont des départements français d’outre-mer, ce qui signifie que des milliers de citoyens français vivant aujourd’hui descendent de personnes que la France a réduites en esclavage.

Une journée pour les esclaves et leurs descendants

La France a en effet deux jours pour commémorer l’esclavage. L’autre, le 10 mai, commémore la traite négrière, l’esclavage et l’abolition.

Mais pour Gordian et d’autres descendants d’esclaves, cela seul ne suffisait pas.

“Avec tout crime contre l’humanité, ce sont toujours les victimes qu’il faut honorer”, a-t-il déclaré à RFI, soulignant que les deux journées devaient bénéficier de la même reconnaissance.

Cela ne s’est pas toujours produit. Alors que le 10 mai voit généralement les principaux membres du gouvernement français déposer des couronnes lors d’une cérémonie solennelle à Paris, les commémorations du 23 mai ont tendance à être plus discrètes et portées principalement par les descendants eux-mêmes.

Bien sûr, cela ne les rend pas moins significatifs – au contraire, c’est le contraire.

A Paris, les célébrations d’aujourd’hui verront des gens déposer des fleurs pour leurs ancêtres esclaves au ministère de la France d’outre-mer, dans le cadre d’une célébration annuelle intitulée “Limye ba Yo» – une expression créole qui signifie en gros « mettons-les à l’honneur ».

« Ce qui me frappe de plus en plus, c’est qu’on voit des familles qui arrivent avec des enfants en bas âge et leur disent ‘vous déposez la fleur’ ​​», raconte Gordien.

« Peut-être qu’ils ne comprennent pas tout à fait pourquoi ils le font, mais ils voient qu’autour d’eux les gens pleurent, rient, réfléchissent, et ils voient d’autres personnes comme eux qui déposent aussi des fleurs.

“Et cela leur permet de voir qu’ils ont une identité et une culture qui leur sont propres au sein de la nationale.”

Appel à un mémorial

Mais CM98 a également fait pression pour un mémorial permanent aux victimes de la traite négrière française, que l’association souhaite voir donner une place de choix dans le centre de Paris.

Président Emmanuel Macron a exprimé son soutien à l’idée lorsqu’elle a été proposée en 2018, mais aucune des conceptions n’a répondu à la demande centrale du CM98 : que le mémorial inclue les noms des quelque 200 000 personnes officiellement libérées dans les colonies françaises des Caraïbes et de l’océan Indien sous l’abolition de 1848.

Le Mémorial du Morne de la Mémoire, qui affiche 1 480 noms donnés aux esclaves libérés après l’abolition, aux Abymes, près de Pointe-à-Pitre, dans l’île française d’outre-mer de la Guadeloupe. © AFP – NICOLAS DERNE

Le projet est depuis au point mort, ce que Gordien espère changer.

« La France se dit le pays des droits de l’homme – et il est vrai qu’en 1789, une loi a été votée déclarant que les gens naissent libres et égaux devant la loi. En 1789. Sauf qu’en 1848, 59 ans plus tard, mes ancêtres étaient encore réduits en esclavage par la France », raconte-t-il.

France abolit l’esclavage dans ses colonies une première fois en 1794 – pour le rétablir en 1802.

« En créant un mémorial, la République française peut dire : ‘oui, il y a eu un échec’ », dit Gordien. “Et tous les gens qui ont été réduits en esclavage par la faute de la France, en inscrivant tous leurs noms sur un mémorial, ça pour moi – et pour la France – c’est une réparation symbolique majeure.”

Histoire nationale, histoires de famille

Au-delà de la mémoire publique, son association œuvre toute l’année pour inciter les descendants d’esclaves à faire connaissance avec leurs ancêtres.

Cela les aide à retracer leur histoire familiale, qui est souvent inégale en raison de documents manquants – ou de générations de silence.

« Je n’ai jamais entendu parler de l’esclavage à l’école », dit Gordien. “Personne n’en a parlé.”

Les gens tiennent une banderole lisant "Descendants d'esclaves et fiers de nos ancêtres !" lors d'une marche à la mémoire des victimes de l'esclavage, le 23 mai 2018 à Paris.
Les gens tiennent une banderole indiquant “Descendants d’esclaves et fiers de nos ancêtres !” lors d’une marche à la mémoire des victimes de l’esclavage, le 23 mai 2018 à Paris. © AFP – FRANÇOIS GUILLOT

Il n’a connu son histoire que grâce à son père : fait inhabituel pour l’époque, il a partagé l’histoire de son propre grand-père, arrivé en Guadeloupe un esclave et plus tard est devenu libre.

Sa mère, cependant, n’en a jamais parlé. “L’histoire est trop douloureuse, trop honteuse”, dit Gordien.

Ce n’est que récemment qu’il a pu remplir les deux côtés de son arbre généalogique; au total, il comptait 32 femmes et hommes réduits en esclavage parmi ses ancêtres directs.

« Ils ne sont même plus nos esclaves », dit-il de lui-même et des autres descendants. “Ils sont juste relatifs – des parents sur lesquels nous apprenons et apprenons à aimer.”

Gordien voit de plus en plus de jeunes venir dans son association à la recherche de leurs propres ancêtres.

Alors que ce qu’ils trouvent peut être bouleversant, “ce que je vois, c’est que ça apaise les gens”, dit-il.

“Ils sentent qu’ils peuvent vivre plus facilement avec cette histoire.”



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